L’alcool en centre d’hébergement : les bénéfices d’une approche de réduction des risques et des dommages
08.04.2021Depuis 2018, la consommation d’alcool encadrée est autorisée dans les espaces privatifs du centre d’hébergement et de réinsertion sociale Georges Dunand (75014) géré par Emmaüs Solidarité. Développée en étroite collaboration avec l’Association Addictions France (ex ANPAA) et la mission Santé d’Emmaüs Solidarité, cette expérimentation soutenue par la Mission Métropolitaine de Prévention des Conduites à Risques de la Mairie de Paris est née d’un besoin de repenser l’interdiction de la consommation d’alcool dans le cadre de l’accompagnement social des résidents.
Impulsée en 2015 pour une durée de deux ans, l’expérimentation a été menée dans l’objectif de réduire l’ensemble des risques et des dommages liés à la consommation d’alcool, en définissant de nouveaux modes de fonctionnement et de gestion des comportements addictifs. Elle a été mise en place au CHRS Georges Dunand où l’interdit d’alcool engendrait de nombreuses complications dans la vie du centre : face à l’interdiction, des résidents s’alcoolisaient en dehors de la structure, dans les bars du quartier ou consommaient « en cachette » dans les chambres. Des pratiques souvent à l’origine de débordements (violences physiques et verbales, chutes…) mettant en difficulté les équipes d’accompagnement social. « Nous ne contrôlions pas leurs sacs mais, à l’occasion de rondes le soir, lorsque nous constations que certains consommaient dans leur chambre, nous confisquions les bouteilles et ne les rendions que le lendemain », se rappelle Souleymane Ba, chef de service.
Malgré des appréhensions, tant de la part des personnes hébergées que de l’équipe, des ateliers animés par les professionnels de l’Association Addictions France (ex ANPAA), ont progressivement été mis en place pour permettre à chacun d’exprimer ses représentations quant à la consommation d’alcool, afin de proposer collectivement des solutions.
Dans un premier temps, résidents et accompagnants ont observé ensemble les conséquences de l’interdiction, tels que les phénomènes de « surconsommation » caractérisés par une alcoolisation massive à l’extérieur avant de rentrer dans la structure, mais aussi les violences liées à l’ivresse comme à la privation.
A l’inverse, le second temps de l’expérimentation autorisant une consommation dans les espaces privatifs a permis d’observer une diminution des incidents et un apaisement du climat, dans un sentiment de sécurité accru. Autoriser la consommation d’alcool dans leur chambre a permis aux résidents de « boire sans précipitation, ni pression », et de les responsabiliser. « Avant, la personne hébergée qui rentrait le soir dans la structure était déjà en tension car elle savait qu’elle devrait passer l’interdit et qu’elle serait jugée », souligne David Dubois, auxiliaire socio-éducatif. Il constate par ailleurs qu’un des résidents, conscient de son addiction à l’alcool, n’hésite désormais plus à confier quand il se sent « cassé et qu’il a besoin de dormir ». « Il ne peut pas arrêter d’un coup. Là, il sait qu’il peut prendre son temps… J’ai déjà pu observer des changements chez lui : il boit moins, il a « rajeuni ». L’absence de jugement ôte beaucoup de culpabilité et de honte aussi. La personne ne se sent pas condamnée parce qu’elle a replongé », poursuit-il.
Cette expérimentation a eu de forts impacts positifs sur la vie du centre, tant pour les résidents que pour l’équipe d’accompagnement. « Cela a été pour nous une victoire extraordinaire car certains résidents étaient dans le déni total de leur problème d’addiction avec l’alcool », se félicite Souleymane Ba. Trois personnes ont ainsi été orientées vers des structures de soins, alors que ce type d’accompagnement n’avait pu être réalisé depuis des années. Un avenant au règlement de fonctionnement a alors été rédigé afin d’autoriser la consommation d’alcool dans les espaces privatifs à partir du 1er janvier 2018.
Forte de cette expérience reconnue par le label Droit des Usagers de la Santé en 2018, la mission Santé d’Emmaüs Solidarité s’attèle maintenant à sa duplication dans d’autres CHRS.