Coulisses des ateliers de confection de masques
12.06.2020Merci à Gaëlle Tonitru, éducatrice spécialisée d’EMMAÜS Solidarité, pour ce bel article !
Quand une crise sanitaire réveille les solidarités
Le 16 mars 2020, l’Etat déclarait une mise en confinement et mettait en lumière un risque sanitaire certain. Dans un centre d’hébergement, ce genre de déclaration soulève de nombreuses questions : Comment se protéger, comment protéger les autres et surtout comment maintenir une paix sociale lorsque nous retirons, sans en être responsable, la liberté de circulation à nos accueillis… ?
Ces questionnements nous ont suivis jusqu’au mois d’avril 2020. Nous tentions de sensibiliser, de maintenir cette fameuse distanciation sociale si souvent évoquée sans que personne ne puisse réellement définir ce qu’elle induit. Est-ce qu’elle est physique ? Notre accompagnement ne va-t-il pas souffrir de cet état de fait ? Comment vont le vivre nos hébergés qui sont habitués à circuler et nous solliciter régulièrement ? Et surtout, une fois que nous ne pouvons plus circuler, plus se toucher, plus s’approcher… Que fait-on de l’ennui et de l’isolement profond qui en découle ? Plus de démarches administratives car tout est fermé, plus d’accompagnement physique… Trop de risques.
Mais, comme souvent, nous sommes pleins de ressources. Alors, l’un commence à confectionner ses propres masques en tissus pour se protéger et protéger les autres après une mise en « quatorzaine » au domicile. Les collègues et les résidents le trouvent sympa ce masque ! Et puis, l’air de rien, si on peut le faire à la maison, on peut sûrement le faire au centre, non ? Du coup, on n’aurait pas des draps, des bouts de tissus, des ciseaux pour commencer ? Alors, on tâte le terrain, parce que tout démarre du terrain en fin de compte !
On en parle aux accueillis et un groupe se forme. Parce que, en plus d’être utile, ça occupe ! Alors vient le moment de parler quantité. Vous êtes prêts à confectionner des masques pour 207 personnes et pourquoi pas pour les salariés aussi ? La réponse est : OUI.
« C’est fantastique pour le centre ! » dit Madame H.
Le 8 avril 2020, le tissu est là, les machines à coudre sont réquisitionnées, les volontaires sont présents et sont curieux de voir où cela va mener. Nous sommes une quinzaine de personnes à découper des carrés de tissus à la chaîne. Il faut penser à protéger tout le monde, alors gel hydro-alcoolique pour tous, masques faits maisons ou fournis, fers à repasser prêtés par des salariés, ciseaux « empruntés » dans les bureaux et désinfectés pour l’occasion, réorganisation de l’espace pour garantir cette fameuse distanciation sociale…
Chacun sa méthode, chacun son rythme. Un objectif commun : préparer plus de 700 masques avec les moyens du bord, de la récup’ et de bonnes volontés. Un fond de musique aussi, qui déplaît parfois, mais les participants sont compréhensifs, on n’a pas tous les mêmes goûts musicaux. Et on découpe, tous les jours, de jolis carrés à assembler par trois jusqu’au 14 avril 2020.
« Pour nous, ce moment répond à deux choses : passer le temps durant le confinement et surtout être utiles. » Madame M.
On va pouvoir les mettre à profit nos 720 masques potentiels. Mais, qui va coudre ? On demande de l’aide à la direction, et on nous trouve un couturier qui est motivé. On en discute entre collègue, un autre arrive et enfin, un couturier caché parmi nos accueillis vient nous voir en disant : « Mais, pourquoi on ne m’a pas prévenu ? C’est mon métier quand même ! »
Alors on installe un atelier de couture véritable avec le bruit incessant des machines, la redécoupe des carrés car ils sont parfois irréguliers. Tout cela à un rythme soutenu. Les accueillis ne lâchent rien ! Ils rient, ils discutent, ils repassent, ils plient, ils découpent encore ! Et ils comptent les masques pour être surs d’avoir assez pour tous. On teste aussi les collants pour faire les élastiques, pénurie oblige, et on s’adapte encore et toujours ! Certains s’essaient sur les machines pour apprendre. C’est plus long, mais on est ensemble ! On découvre les pros dans chaque discipline et les gens de passage qui participent pendant quelques heures pour aider.
« On les a quand les masques ??? » Les gens de passages…
Certains, qu’ils soient professionnels ou accueillis, passent nous voir souvent pour regarder et féliciter. Ils attendent aussi, ils ont envie de ces masques, c’est rassurant de savoir qu’ils se préparent au sein même du centre. Des sourires, des danses, des chants et de la bonne humeur chaque jour…
Le 24 avril 2020, 723 masques sont finalisés. Ils seront distribués quelques jours plus tard aux accueillis et aux salariés.
C’est dans ce genre d’occasions que chaque compétence, quelle qu’elle soit, se révèle pour un « après » plus grand.
Gaëlle TONITRU – Éducatrice spécialisée chez EMMAÜS Solidarité